Une plongée au cœur du jurassique avec les Amis de la Réserve
Les Amis ont été bien occupés au début de l’automne 2023 ! Après la belle matinée couronnée de succès du World Cleanup Day organisée à Doussard, Lathuile et Chevaline le 16 septembre, une vingtaine d’Amis et amis d’Amis ont eu la chance de participer à une sympathique sortie dans l’Ain le jeudi 21 septembre. Rendez-vous était pris avec l’éminent spécialiste local Jacques Bordon pour aller visiter Dinoplagne et divers autres sites qu’il avait à cœur de nous faire découvrir.
Après regroupement à Eloise, non sans quelques interrogations sur la localisation du parking de covoiturage, en raison d’un panneau malencontreusement déplacé par la bise en cette contrée où les hivers peuvent être passablement rudes, nous avons retrouvé Jacques et pris la route de Dinoplagne.
Sur place, nous avons été accueillis par Martin et William, qui nous ont offert du café et du thé dans la petite salle d’exposition, où nous avons pu découvrir des fossiles dans d’intéressantes vitrines, et notamment un œuf de titanosaure… sans oublier un squelette de petit dinosaure qui n’a pas manqué d’attirer l’attention. Avant de sortir au grand air assez frais pour entamer la visite proprement dite, nous avons demandé à notre accompagnateur de se présenter. Né à Clarafond, au pied du Vuache, il a été professeur de « sciences naturelles », comme on disait avant l’avènement des SVT… Actif dans de nombreuses associations, il a notamment participé à la création de l’APEGE, l’ancêtre du Conservatoire d’espaces naturels de Haute-Savoie, et a fait partie du conseil scientifique des réserves du département. Il a aussi œuvré à la création de la réserve de la Haute Chaîne du Jura. Comme nous pourrons le constater tout au long de cette journée fort instructive, c’est un spécialiste de son territoire, de la botanique, de l’entomologie et des fossiles, entre autres.
Nous avons ensuite commencé la visite de cet espace naturel sensible, sous la houlette de Martin, responsable polyvalent des lieux. Biodiversité, jurassique, évolution des continents, fossiles, toutes ces thématiques sont abordées sur les différents panneaux explicatifs du circuit pédagogique, que Martin nous présente en répondant à nos questions. On apprend notamment que les roches du massif jurassien ont donné leur nom au jurassique, cette période de l’ère secondaire qui nous intéresse tout particulièrement aujourd’hui.
Un peu d’histoire d’abord. Sur ce terrain datant du jurassique supérieur, une première empreinte de dinosaure a été découverte en 2009 par deux membres de la Société des naturalistes d’Oyonnax. Cette découverte n’est pas le fruit du hasard, car une stratégie de recherche était déjà en place. Suite à cette trouvaille exceptionnelle, trois campagnes de fouilles financées par la communauté de communes du pays bellegardien ont permis de mettre au jour une piste d’empreintes de dinosaure fossilisées, qui présente un caractère exceptionnel de par sa longueur : pas moins de 155 mètres ! Une conservation et une mise en valeur du site s’imposaient donc.
Ce fut fait avec la création de Dinoplagne. Une impressionnante structure nommée Canopée, véritable « cathédrale de bois local » de 820 m², a été construite sur 50 mètres au-dessus de la plus belle portion de la piste d’empreintes, pour la protéger des conditions atmosphériques et climatiques et permettre aux visiteurs de la surplomber. C’est effectivement assez impressionnant et grâce à ces empreintes très bien conservées montrant la trace des doigts, des griffes et des bourrelets plantaires, on s’imagine aisément la progression du gigantesque animal. Le reste des empreintes a été recouvert d’une résine et remis sous terre pour assurer leur protection.
Celui qui a laissé ses traces ici est un dinosaure solitaire marchant dans ce qui était il y a 150 millions d’années, à la fin du jurassique, une lagune au bord d’une mer peu profonde, dont le climat s’apparentait à celui des Bahamas aujourd’hui. Les empreintes ont permis aux scientifiques de déterminer qu’il s’agissait d’un sauropode, et plus précisément d’un titanosaure, cousin du diplodocus. Ce géant de 40 tonnes et de 30 mètres de long, doté d’une tête proportionnellement minuscule, était un quadrupède herbivore, qui mangeait trois à quatre tonnes de nourriture par jour et se déplaçait à trois à quatre km/h. Ici, ce n’était pas pour lui un lieu de vie, mais un lieu de migration. Il reste encore beaucoup de questions à son sujet, dont les suivantes : compte tenu de son énorme masse, comment se reproduisait-il et comment pondait-il ?
On trouve aussi sur le site une piste d’empreintes plus courte, qui sont celles d’un théropode, un dinosaure de plus petite taille, bipède carnivore se déplaçant à entre 13 et 20 km/h.
Toujours dans la Canopée, nous passons un bon moment grâce au petit film de réalité virtuelle. Par groupes de cinq, nous enfilons des casques et nous voilà embarqués pour quatre minutes d’immersion dans le paysage du jurassique, frôlés par de grands dinosaures terrestres et d’autres qui volent autour de nous, ce qui occasionne des rires et même des cris pour les plus impressionnables. Vraiment intéressante, cette plongée dans ce passé si lointain aux côtés de ces créatures disparues ! Je pense à la sixième extinction de masse en me demandant si nos lointains descendants pourront un jour voir ainsi toutes les espèces aujourd’hui menacées.
À l’issue de la visite, nous partageons un agréable pique-nique sur place, avec distribution de diverses douceurs apportées par les uns et les autres, et devinette sur une nouvelle saveur de pâtes de fruits imaginée par Dominique (groseille ! quel goût et quel parfum extraordinaires !). Les conversations vont bon train aux diverses tables, dans une ambiance très joyeuse.
Avant de partir, nous fouillons un peu dans le tas de pierres mis à disposition sur le site, où nous trouvons quelques petits fossiles dignes d’intérêt. Nous passons enfin par la boutique, où les dinosaures en peluche, chaussettes ornées de diplodocus et autres jeux éducatifs nous font de l’œil.
Nous reprenons ensuite la route vers la plaine de Joux pour rejoindre à Prapons un chemin sur lequel Jacques nous assure que nous pourrons trouver de beaux spécimens de fossiles. Au Kimméridgien, une ère géologique dont j’apprends aujourd’hui l’existence, le Jura est bordé par une importante barrière corallienne, avec de grands lagons parsemés de massifs coralliens, tels que celui de Saint-Germain de Joux. Mais que sont les fossiles, au juste ? Il s’agit de restes, traces ou moulages d’organismes naturels que l’on retrouve dans les roches, ici du calcaire. La mer tropicale, chaude et peu profonde du jurassique supérieur était favorable à la prolifération de la vie et les fonds abritaient de nombreux organismes à coquille, céphalopodes, gastéropodes, crustacés, coraux… Chacun se prend au jeu et aiguise son regard, et effectivement tout le monde trouve quelque chose. Nous sollicitons beaucoup Jacques qui nous confirme les noms de nos trouvailles : nérinées et dicéras, fossiles de coquillages, et bien sûr les madrépores et polypiers, fossiles de coraux. En voyant le paysage de 2023, il est difficile de s’imaginer à quoi ressemblaient les lieux au jurassique supérieur, mais ces fossiles témoignent bien de la présence ancienne d’une mer tropicale chaude et peu profonde, favorable à la prolifération de la vie.
C’est l’heure du goûter et nous nous régalons avec le gâteau aux pralines de Martine C. Merci Martine ! Tout étant prétexte à des découvertes naturalistes, Jacques nous montre une écorce et le travail de sape des scolytes. Nous reprenons les voitures pour SaintGermain de Joux, où nous découvrons après une courte marche le décor magique des marmites des géants, sculptées par la rivière la Semine et son affluent. Ces grands creux cylindriques profonds de deux à trois mètres sont reliés par quelques cascades successives. C’est un lieu bien apaisant, mais il est déjà l’heure de revenir au XXIe siècle.
Nous nous quittons sur le parking et nous reprenons la route sous la pluie. Encore une chouette journée entre Amis, et quelle belle leçon de paléontologie et de géologie ! Merci beaucoup à Jacques pour toutes ses explications, à notre président Michel pour l’organisation et à l’association qui nous a offert le billet d’entrée. À la prochaine pour de nouvelles aventures entre Amis !